L’accès des femmes aux ressources forestières dans la province du Mai-Ndombe
INTRODUCTION
La République Démocratique du Congo est un pays riche en terme des ressources naturelles dont dépend directement plus de 70% de sa population, et détient les deux tiers du bloc forestier du bassin du Congo. C’est le deuxième plus vaste massif forestier tropical au monde, après celui de l’Amazonie[1]. Les forêts de la République Démocratique du Congo jouent donc un rôle important tant sur le plan socio-économique et écologique que touristique. Tel est le cas pour la province forestière de Mai-Ndombe avec une superficie de 9,8 millions d’hectares dont les forêts couvrent 87% dans l’ensemble de toute sa superficie. En dépit de gigantesques ressources naturelles que regorge le pays, la grande partie de sa population vit cependant dans la pauvreté la plus extrême.
Dans les zones forestières du pays, la forêt est perçue comme un endroit d’approvisionnement des familles. C’est le cas pour les femmes de communautés mangoli/makapandelo et de welo dans le secteur de Basengele, territoire d’Inongo, province de Mai-Ndombe. Curieusement, ces femmes qui pourtant dans les travaux forestiers travaillent beaucoup plus que les hommes, sombrent dans la plus grande précarité du fait de traitement discriminatoire dont elles font objet d’une part, et d’autre part en raison du partage inéquitable des revenus forestiers.
Cette analyse de la situation socio-économique de la femme dans cette contrée de la RDC, a tiré son fondement aux résultats de l’étude de référence du projet PASDFF Mai-Ndombe effectuée au mois de mars 2021, laquelle étude a été menée par le Centre d’accompagnement de la population pour le développement multisectoriel en sigle « CADEM ONGD » avec la facilitation de Monsieur Alain-Parfait NGULUNGU, le point focal the tenure facility en République Démocratique du Congo.
Cette étude a été réalisée auprès de deux communautés locales à savoir : mangoli/makapandelo et welo, lesquelles communautés sont sous l’accompagnement du centre d’accompagnement de la population pour le développement multisectoriel en sigle « CADEM ONGD » pour l’obtention de leurs concessions forestières des communautés locales (CFCL). L’étude a été effectuée avec un échantillon des membres de ces deux communautés dont 30 femmes, 5 membres de la société civile locale, 6 hommes parmi les membres des communautés welo et mangoli/makapandelo ainsi que 4 autorités politico-administratives locales. Les échanges et enquêtes avec cet échantillon des communautés ont permis de déceler les cas de discrimination dont les femmes de ces deux communautés sont victimes. En effet, l’analyse démontre que ces femmes ne jouissent pas d’une effective liberté d’opinion d’une part et d’autre part, elles sont souvent victime de partage inéquitable des revenus forestiers dans leurs ménages.
Plan sommaire
Outre l’introduction et la conclusion, la présente étude est repartie en deux chapitres. Si le premier chapitre aborde les causes de la discrimination des femmes, le second chapitre se focaliser plutôt sur la problématique de partage des revenus forestiers dans les communautés mangoli/makapandelo et welo.
CHAPITRE I : LES CAUSES DE LA DISCRIMINATION DES FEMMES DE COMMUNAUTES MANGOLI/MAKAPANDELO ET WELO
Les causes de discrimination dont les femmes de communautés mangoli/makapandelo et de welo font l’objet proviennent d’une part des mœurs ou coutume dédites communautés et d’autre part du complexe d’infériorité des femmes elles-mêmes ainsi que de la méconnaissance de leurs droits.
A. La coutume de la contrée
Il semble que suivant cette coutume, les femmes qui se « respectent » ne peuvent pas s’exprimer publiquement là où les hommes sont réunis. Aussi, une femme qui agit au mépris de cette règle coutumière, est prise au sein de la communauté comme une femme légère et impudique à la quête des hommes. A cet effet, pour éviter pareille déconsidération sociale, des femmes mariées « modèles » adoptent le plus souvent l’attitude de silence comme la recommande la coutume lorsqu’elles sont appelées à assister dans une réunion cruciale en présence des hommes. Ainsi, pareille coutume, qui du reste n’est pas une exclusivité pour les Basengele de ces deux communautés en étude, a réussi fort malheureusement, à faire admettre à tort, certains stéréotypes de cette contrée du genre :
« BASI BATONGAKA MBOKA TE, KOLIA NA MWASI KOLIA NA NDOKI » traduits littéralement comme : « les femmes ne construisent ou ne développement jamais une communauté, faire confiance à une femme c’est précipiter sa chute ».
Fort de son application depuis un très longtemps relativement, la coutume de cette contrée a réussi à faire inculquer aux femmes de ces deux communautés, le sentiment de se voir inferieures aux hommes et de penser qu’elles ne peuvent pas contribuer par leurs idées au développement de la communauté.
Alors que la constitution congolaise du 18 février 2006[2] telle que modifiée à ce jour affirme que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits et que tous les congolais sont égaux devant la loi. Cependant, ce principe de parité ou d’égalité de tous devant la loi, semble être qu’un chapelet de bonnes intentions dans ces deux communautés. En effet, l’étude de référence a démontré que des nombreux hommes mariés Basengele se considèrent comme des êtres supérieurs par rapport à leurs épouses. Ainsi, le concept mariage qui est pourtant l’union entre un homme et une femme qui décident de s’unir pour vivre ensemble en vue de s’entraider et pour former une famille, semble ne pas être compris comme tel. A cette limitation de droit à la liberté d’opinion de ces femmes, s’ajoute une série de tabou alimentaire qu’elles sont obligées à observer, faute de quoi, elles vont subir la colère « des ancêtres » par des répercussions néfastes pour leur survie alors que les hommes en mangent librement sans la moindre conséquence de ces prétendus « ancêtres ». Le tableau suivant énumère de façon exhaustive, les différents interdits d’ordre alimentaire imposés aux femmes de ces deux communautés.
N°ESPECES CONSEQUENCES
Crocodiles: Maladie du sommeil et risque d’avortement
Alligator: Maladie du sommeil chez la mère et son bébé
Chacal: Teigne tondante chez le nouveau-né
Œuf pour une femme enceinte: Risque d’ocké et absence de cheveux chez nouveau-né
Malapterurus électrocus(Lolondo): Risque d’avortement
Tortue chez la femme enceinte: Accouchement à haut risque
Varanus niloticus: Risque de transmission du déficit d’auditif au fœtus, Accouchement à haut risque, Teigne tondante chez le nouveau-né
Protoptecrus dollaû( nzombo): Accouchement à haut risque et élargissement des seins
Courge: Teigne tondante chez le nouveau-né
B. Le complexe d’infériorité des femmes de Basengele vis-à-vis des hommes
En raison de son application, cette coutume Basengele a réussi à faire croire aux femmes qu’elles sont des êtres inférieurs aux hommes. En effet, cette auto-sous-estimation des femmes découle d’un sentiment de complexe d’infériorité qu’elles se font dans leur état d’esprit. Ainsi, il n’est pas surprenant de voir qu’une femme de cette contrée, affirme avec zèle et toute honte bue que : « l’homme a toujours raison et que la femme a toujours eu tort ».

C. La méconnaissance de leurs droits
La majorité des femmes de cette contrée vit dans l’analphabétisme. En étant analphabètes, ces femmes ne savent pas que le monde a évolué et qu’elles ont des droits égaux vis-à-vis des hommes. Alors que les instruments juridiques internationaux que la République Démocratique du Congo a ratifié notamment : la déclaration universelle des droits de l’hommes, le pacte international relatif aux droits civils et politiques, le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la convention internationale sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme, ainsi que les lois nationales : de la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ces jours à la loi sur la parité homme/femme en passant par les codes du travail et de la famille tels que modifiés, affirment le principe de parité l’homme et la femme, mariée soit-elle.
Il est vrai que pour une stabilité du ménage, la femme doit être à son mari et que l’homme lui doit assistance. Mais curieusement, certains hommes malins profitant de cette ignorance des femmes, vu que leurs femmes sont des analphabètes pour la plupart de cas et ne connaissent par conséquent rien de leurs droits, abusent de cette soumission en faisant admettre à celles-ci l’inacceptable au nom de la « stabilité du ménage ».
CHAPITRE II. DE L’INJUSTICE DANS LE PARTAGE DE REVENUS FORESTIERS
Dans l’espace Basengele, les principales ressources des ménages proviennent essentiellement de la forêt. La forêt est considérée comme un espace de vie pour les communautés. Ainsi, sans la forêt pour les communautés, il y a un risque d’inanition pour ces dernières. A cet effet, l’homme participe avec le concours de sa femme aux travaux de champs notamment lors de dessouchage. Après que cette opération soit finie, la femme devient l’actrice principale ou l’artisan de tous les autres travaux restants des champs et l’homme se donne unilatéralement le luxe d’un congé indéterminé pour rester à la maison en attendant la moisson pour opérer un partage sur ces revenus forestiers. L’étude a donc révélé un manque d’équité lors de ce partage ainsi qu’un excès de pouvoir de la part de l’homme.
Le manque d’équité dans le partage des revenus forestiers
En effet, la femme part presque tous les jours aux champs voire même le dimanche, pour les activités champêtres afin de faire nourrir quotidiennement toute la maison y compris son mari. Curieusement, ce dernier reste dans la plupart de cas à la maison soit pour prendre joyeusement et bonnement sa boisson alcoolique, soit celle à canne à sucre dès le petit matin, soit pour jouer au jeu de dame, soit pour fumer avec un collège des amis dans les paillotes, ou discuter de la musique ou pour s’adonner à d’autres futilités.
Ce qui est plus curieux est que les revenus forestiers produits par la femme dans son travail pénible de tous les jours, sont soumis au partage du mari « roi du ménage ». Lors de ce partage, l’homme abuse généralement de ce privilège dont il tire de la coutume, avec notamment un partage injuste et unique des revenus, en s’octroyant la part de lion au mépris de tout principe d’équité en vue de satisfaire ses désirs personnels au détriment de l’intérêt général du ménage. Ainsi, on n’est pas surpris de voir qu’un homme marié, qui paye une dot pour sa nouvelle union avec une femme grâce aux revenus forestiers provenant du travail de son épouse légitime.
Cette inégalité dans le partage des revenus chez les Basengele est résumée dans leur adage dialectique :
« eto wale » qui se traduit littéralement comme : « quelqu’un qui a tant travaillé mais qui au moment de la moisson est toujours récompensé en monnaie de singe ».

Excès de pouvoir
L’attitude qu’affichent les hommes mariés de Basengele semble provenir d’un excès de pouvoir de leur part suite aux différentes prérogatives que leur coutume les dote. A cet effet, la plupart d’hommes se comportent en roitelets dans leurs ménages. Ainsi, en ayant cette illusion de se considérer comme « Rois » dans les ménages, et comme tout monarque digne de ce nom, des hommes croisent donc les mains et attendent « avec honneur » les redevances provenant de leurs assujetties « épouses ». Cette illusion de supériorité des hommes mariés fait que certains d’entre eux privent même arbitrairement à leurs femmes le droit le plus légitime de la liberté de penser ou d’expression qui leur sont pourtant garanties par la loi.
Néanmoins, l’étude a démontré que suite aux différentes sensibilisations liées à la demande et l’octroi des concessions forestières des communautés locales (CFCL) sous la facilitation de l’équipe terrain CADEM dans le cadre du Projet d’Appui à la Sécurisation des Droits Fonciers et Forestiers des communautés locales et peuples autochtones « PASDFF » en consortium avec les 5 ONG de la société civile à savoir CAGDFT, CADEM, CECU, CEPECO et CRI (Consortium 5C) sous l’appui technique de CAGDFT avec le financement de Tenure Facility depuis son implémentation en 2020 dans le Mai-Ndombe, certaines femmes commencent à briser la peur à ce mythe en prenant la parole devant les hommes dans des réunions communautaires pour exprimer une opinion.
[1] Voir offre d’emploi réf : CADEM-ONGD/PASDFF/2020/03, P.2. [2] Voir les articles 11 et 12 de la constitution du 18 février 2006.
Conclusion
La coutume est importante pour servir d’organisation sociale dans un espace déterminé en suppléant à la carence de la loi. Etant suppléante à la loi, la coutume ne doit pas être contraire à cette loi, chose contraire à l’instar de la coutume Basengele sur l’organisation socio-économique des ménages.
Pour mettre fin à pareille coutume qui crée le lit de la vulnérabilité des femmes et qui fait l’apologie de la discrimination sexuelle dans cette contrée du pays, qui du reste n’a pas ce monopole, les différentes sensibilisations et formations sur les instruments juridiques internationaux et nationaux en vigueur en RDC qui prônent la parité et font la promotion des droits des femmes sont vivement recommandées au profit de différentes parties prenantes de la foresterie communautaire.
Maître Delvard KAHUNDA BOPENGO
Chef de projet adjoint CADEM PASDFF/Mai-Ndombe